Le besoin de prendre en charge l’enfant atteint de cancer s’est imposé au Maroc à la fin des années 1970. A cette époque les chances de survie d’un enfant atteint de cancer étaient quasi nulles sauf si sa tumeur était chirurgicalement curable avec parfois adjonction d’un peu de chimiothérapie comme dans le cas du nephroblastome. Les enfants qui arrivaient à survivre étaient également ceux dont la famille disposait de facilités pour un transfert à l’étranger. Il n’existait pas de structure dédiée à l’oncologie pédiatrique et les enfants atteints de cancer étaient pris en charge dans tous les services de pédiatrie, chirurgie, médecine, hématologie ou de spécialités, selon la présentation clinique initiale du cancer. L’arme thérapeutique essentielle était la chirurgie, la radiothérapie ne se faisait qu’à Casablanca et la chimiothérapie utilisait un nombre très limité de drogues selon les disponibilités. Les tentatives de transferts à l’étranger se soldaient souvent par des échecs du fait des difficultés de communication et de coordination entre les différents services et l’état du patient s’aggravait avant que la procédure n’aboutisse. Le taux donc de survie ne pouvait donc pas dépasser 5 – 10%.
Au début des années 1980 deux équipes l’une à Casablanca (Pr N Benchemsi) et l’autre à Rabat (Pr F Msefer Alaoui) démarrent une activité d’oncologie pédiatrique et se fixent comme objectif d’améliorer la survie de ces enfants. Les premiers cas pris en charge ont été des leucémies, puis très vite, les autres tumeurs. Ces «unités» ont démarré initialement sous forme d’une simple activité d’oncologie pédiatrique avec des lits et des médecins dédiés à cette activité mais qui exerçait dans des services de pédiatries ou d’hématologie. Ces unités se sont structurées pour répondre à une demande croissante de soins et ont utilisé très vite les soins ambulatoires en hôpital de Jour. Pour faire face aux besoins croissants des équipes et des parents, les unités ont été soutenues par des associations de parents crées à cette effet pour accompagner et soutenir les deux unités. C’est ainsi que sont apparues deux associations de soutien: l’association des maladies du sang AGIR pour soutenir l’unité de Casablanca, et pour Rabat l’association des Parents et Amis des enfants atteints de Cancer AVENIR.
L’accès à la radiothérapie pour les patients pris en charge à l’unité de Rabat a été facilité par l’ouverture en 1986 de l’Institut National d’Oncologie. Cependant il persistait le problème de l’absence d’une solution d’hébergement pour les familles appelées à effectuer de multiples séjours à Rabat ou à Casablanca.
C’est ainsi que la première maison de vie « La Maison de l’Avenir » à ouvert ses portes à Rabat en Mai 1995 permettant l’hébergement des familles habitant loin et dont les enfants étaient traités à l’Hôpital d’Enfants de Rabat.
Ce développement continue de l’oncologie pédiatrique et l’augmentation du nombre de patients traités et des soignants impliques dans cette prise en charge a fait apparaitre un nouveau besoin qui était celui de créer en 1996 une société savante la Société Marocaine d’Hématologie et Oncologie Pédiatrique (SMHOP) regroupant tous les intervenants dans l’oncologie pédiatrique. La première action de la SMHOP a été l’organisation du 3eme Congrès Continental de la SIOP en Afrique à Rabat, en mai 1996.
Malgré tout le chemin parcouru et les efforts fournis, un écart de survie important «Survival gap » entre les pays développés et les pays à revenues limités (Low Middle Income Countries LMIC) comme le Maroc nécessitant l’application de stratégies adaptés à ce contexte. Il fallait donc mettre en place des stratégies avec des objectifs spécifiques à ses LMIC :
- Lutte contre les abandons de traitement
- Le diagnostic précoce
- Protocoles thérapeutiques adaptés
- L’accès aux médicaments
- Améliorer les soins de support.etc
Un des moyens pour atteindre ces objectifs était d’établir des partenariats nord sud avec des structures d’oncologie pédiatriques américaines et européennes. C’est ainsi que en 2000, l’Hôpital d’Enfants St Jude, Memphis noue un partenariat avec l’ensemble des intervenants dans les cancers de l’enfant au Maroc. A la même année le Maroc intègre le Groupe Franco-Africain d’Oncologie Pédiatrique GFAOP dont il a été un des membres fondateur et démarre avec lui la première étude multicentrique phase III.
Le paysage de l’oncologie en général incluant l’oncologie pédiatrique a été complètement modifié par la création en 2005 de la Fondation Lallla Salma pour la Prévention et le Traitement du Cancer présidée par son Altesse Royale la Princesse Lalla Salma et qui avec l’ensemble de ses partenaires, à fait de la lutte contre le cancer une priorité de santé publique au Maroc et dans la région. Ainsi et en partenariat avec le ministère de la santé, d’autres départements et d’autres ONG, la fondation a mis en place le Plan National de Prévention et de Contrôle du Cancer qui s’articule autour de 4 volets : la prévention, la détection précoce, le la prise en charge diagnostique et thérapeutique et les soins palliatifs.
Grâce à ces efforts combinés, le Maroc dispose actuellement de cinq structures d’oncologie pédiatrique (Marrakech, Fès, Rabat et Casablanca) avec dans chaque ville une maison des parents. Une 6ème unité démarre son activité au CHU de Oujda. Au total, ces cinq équipes traitent environ 1000 nouveaux cas de cancer chez l’enfant de moins de 15 ans.
Alors quels ont été les acquis de ces 30 années d’oncologie pédiatrique au Maroc qui ont permis d’atteindre environ 50% de survie tout cancer et tous stades confondus?
- Des équipes soudées travaillant en réseaux et utilisant des protocoles communs nationaux et internationaux.
- La mise en place d’un programme pour le diagnostic précoce du cancer de l’enfant. Ce programme a touché un nombre considérable de médecins marocains spécialistes et généralistes.
- Des stratégies de lutte contre l’abandon de traitement efficaces ayant fait reculer le taux d’abandons de traitement.
- La participation à des études multicentriques nationales et continentales avec une amélioration objective des taux de survie et une courbe d’apprentissage (learning curve) montrant l’amélioration des compétences au fil du temps. Ainsi le taux de survie dans le lymphome de Burkitt est passé de 60% à la période 1 à 80% à la période 2 sans aucune modification du protocole thérapeutique mais grâce à une amélioration des compétences des soignants et un meilleur accès aux médicaments.
- Un meilleurs accès aux médicaments (cytotoxiques, antiémétiques, antibiotiques..) et un accès à des thérapeutiques couteuses et innovantes.
- Une nette amélioration des soins de support notamment en ce qui concerne la lutte contre l’infection et la lutte contre la douleur. Actuellement un projet de lutte contre la douleur chez l’enfant atteint de cancer est financé par la Fondation Lalla Salma dans le cadre de son programme de projets collaboratifs de recherche.
- Démarrage d’un programme de greffe de cellules souches hématopoïétiques et premières autogreffes en 2015 des patients atteints de neuroblastome métastatique. Quelques patients ont pu également bénéficier d’une allogreffe.
- Mise en place d’un programme de formation en oncologie pédiatrique sous forme d’un Diplôme Universitaire de Cancérologie Pédiatrique organisé par la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rabat en partenariat avec l’Université Paris Sud. Ce programme forme non seulement les médecins marocains mais également les oncologue pédiatres des pays d’Afrique francophone (Mali, Niger, Burkina Fasso, Côte d’ivoire..etc).
- Une reconnaissance internationale du leadership marocain en Afrique francophone
En plus de tous ces progrès des pistes d’amélioration en terme de survie et de qualité de vie existent :
- En améliorant l’accueil du patient et l’accès à l’information notamment en mettant en place un système d’annonce du diagnostic et de consentement éclairé
- En renforçant et en formalisant un réseau de soins national qui améliorera la communication entre les centres d’oncologie pédiatrique et les hôpitaux de proximité. Ceci diminuera le retards diagnostic, le retard de références et permettra aux patients de bénéficier de certains soins à proximité (transfusions, intercures..) et soutiendra une activité de soins palliatifs qui reste très déficiente.
- En institutionnalisant les réunions de concertation multidisciplinaire RCP dans tous les centres d’oncologie pédiatrique du royaume imposant ainsi à tous de travailler en équipe selon des standards nationaux et internationaux.
- Mettre en place dans toutes les unités des procédures et des protocoles de soins adaptés.
- Développer des pôles d’excellence de certaines sur-sur-spécialités (greffe, neuro-oncologie pédiatrique, rétinoblastome..)
- En encourageant la formation de tout le personnel impliqué (secrétaires, infirmiers, médecins, psychologues..) sans oublier d’intégrer des formations particulières en leadership et en management. La nécessité d’une formation spécifique pour les infirmiers en oncologie est devenue évidente au fil du temps.
- En renforçant les équipes par du personnel jeune et motivé et en intégrant de nouvelles compétences tels que les datamanagers. En re-intégrant dans les équipes une catégorie de personnel qui ont disparu du système de soins comme les aides soignantes, les brancardiers
- Un travail acharné du ministère de la santé et des ONG pour veiller à un approvisionnement régulier et stable du marché marocain en médicaments essentiels notamment morphine, anticancéreux, facteurs de croissance….
- La mise en place d’un système de collecte de donnée efficace et efficient à travers l’instauration d’un registre national du cancer de l’enfant.
- En prenant en charge sur le plan médical et psycho-social les enfants et adultes survivants d’un cancer pédiatrique dont le nombre est en constante augmentation.